Depuis les premières démonstrations des techniques d'Aïkido des années 50 les formes techniques ont évolué en gagnant en précision et en profondeur par la mise en application de principes parfois subtils et caractéristiques. Moins brutales d'aspect, plus souples et adaptées, elles n'en restent pas moins incisives et la bienveillance avec laquelle Tori réalise une technique sur Uke reste nécessaire afin de ne pas « blesser » son partenaire.
L'absence de compétition, garde-fou qui nous préserve d'une dérive sportive, n'empêche pas une certain glissement de la pratique qui n'est jamais confrontée à « une réelle mise en application » si bien que certains critiquent même l'organisation fédérale de notre pays qui nous impose une vue « sportive » dans l'approche et la mise en place de notre activité.
La pratique feutrée dans les Dojo, ou à défaut dans les gymnases municipaux, présente le risque élevé de nous isoler dans nos convictions. L'étude technique, elle-même, par sa définition des rôles pré-établis Uke-Tori et, bien que cette relation se veut de rapport gagnant-gagnant, nous conditionne à gagner lorsque l'on est Tori et perdre lorsque l'on est Uke. Ainsi, par définition, l'attaquant est le perdant dans le scénario pré-défini du déroulement de la technique. Même s'il existe le Kaeshi-Wasa qui peut présenter un intérêt technique comme pédagogique, Uke ne cherche pas à contrer Tori. Y compris dans Le Go no Keiko où Uke est moins complaisant, il ne s'attache pas à empêcher Tori de réaliser la technique et s'y soumet lorsque nécessaire afin de ne pas subir de contraintes articulaires s'il y a lieu, ni de blessure.
Alors comment concilier transmission technique et réalité martiale tout en conservant le respect du principe d'intégrité ?
L'esquisse de la résolution de cette équation passe sûrement par un retour aux sources et une observation à partir des principes de base.
La très haute technicité corporelle de l'Aïkido est basée sur une utilisation « correcte » du corps : respect des axes morphologiques, non utilisation de la force « brutale » avec respect du principe de non opposition (à une force supérieure). Il ne s'agit donc pas de vouloir se muscler à tout prix, mais d'apprendre à se mouvoir subtilement, l'amélioration ou le maintien de la condition physique y contribuant activement.
La transmission (enseignement) se base autant sur la construction technique et sa logique (Ri-Aï) que sur le respect d'intégrité de Tori comme de Uke.
L'apprentissage est basé sur la répétition de gestes techniques et l'exigence de la réalisation technique augmente avec la progression du pratiquant qui est évaluée lors des passages de grade : centrage, précision, timing, fluidité... C'est ici que la course aux grades fourvoie un grand nombre de pratiquants : l'objet de la pratique devient la préparation aux grades, donc la préparation aux objectifs observables afin de réussir l'examen. Certains aspects n'étant pas ou trop peu travaillés parce que ne rentrant pas dans ces critères ou n'étant pas observés. N'étant jamais confronté à la dure réalité martiale, le respect du principe d'intégrité endort la vigilance martiale, et la plupart des pratiquants comme des enseignants ne se remettent plus en question et n'évoluent plus.
Le rapport transmission technique et respect d'intégrité n'ouvre un espace qu'à deux dimensions. Rajoutons un axe perpendiculaire aux deux précédents et donnons une dimensions tri-dimensionnelle à la pratique : ce nouvel axe est l'axe martial. Il permet la prise de conscience du danger potentiel comme les Atémi (poings, pieds) ou la force adverse représentée par le partenaire: poids, taille, force physique mais aussi qualité technique telle que vitesse ou dextérité. La prise en compte du paramètre martial permet de régler les distances, les sorties de ligne d'attaque, les prises d'angle, les pivots, encore faut-il avoir ouvert sa conscience à ces dangers potentiels.
Du fait d'une évolution des formes techniques moins cassantes et plus évoluées dans le rapport Uke-Tori, les techniques sont-elles applicables dans une situation de combat ?
Le stress comme l'absence de règles réduit le champ d'application des techniques dont on croit souvent les réussir avec un partenaire plus ou moins complaisant. Avec un Ego qui se plait à croire qu'il est bon, beau et fort, l'illusion est parfois totale.
Pour la grande majorité des pratiquants, les techniques, trop ambitieuses dans leur finalité de respect d'intégrité, ne sont pas applicables. Seuls les gradés auraient une carte à jouer. Mais l'Aïkido n'est pas pour autant un leurre : les principes, eux, sont applicables même avec peu de pratique et suffisent parfois à apaiser une situation conflictuelle.
Avant de devenir haut gradés, il est du devoir des enseignants de s'ouvrir à d'autres pratiques pour ouvrir non seulement son répertoire technique mais aussi la prise de conscience des dangers potentiels. Appréhender la vitesse d'un Karaté-ka ou la force de saisie d'un Judo-ka, comprendre l'origine des techniques et leur efficacité première (Daïto Ryu Aïki-Jutsu), expérimenter sa pratique en sont quelques moyens. Un enseignant transmet ses connaissances: il est de son devoir de les enrichir comme de les expérimenter.
L'équation " Transmission technique, Réalité Martiale et Principe d'Intégrité " ne peut se résoudre que par la formation des enseignants et des pratiquants, ce qui nécessite la formation même des formateurs.
-voir l'article " la quadrature du cercle "-
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