Cet
article fait suite à « L'Aïkido : quel devenir ? »
Cette
question revient souvent et met en évidence la difficulté pour un
art martial de concilier techniques de combat et finalité pacifiste.
Cette question reste cependant cruciale pour l'avenir et le devenir
de l'Aïkido.
Je
m’interrogeais : « Si demain je devais partir au combat, à
partir de quel grade inviterais-je mes élèves à me suivre ?
1° Dan ? Grade Kyu ? 3° Dan ? ». En d'autres
termes, à partir de quel niveau le pratiquant est-il apte à
survivre dans un combat au corps à corps ?
Pour
répondre à cette question, il faut s'interroger sur la formation de
l'élève. Au départ, on place l'élève en situation
d'apprentissage. Pendant cette période, il doit se familiariser avec
le « matériel » (noms des techniques, modes de travail,
fondamentaux et principes techniques), puis doit se former
(réalisation des techniques, mise en application des principes,
développement des capacités corporelles...). L'envoyer au combat
pendant cette période serait extrêmement risqué.
Il
en est de même dans de nombreux domaines : par exemple,
amène-t-on un débutant en ski directement sur une piste noire ?
Pendant
la période d'apprentissage et de formation, il faut privilégier un
travail souple, surtout dans la relation Uke-Tori (celui qui reçoit
la technique et celui qui la réalise) : ne pas forcer, ne pas
bloquer ni contrer, apprendre à suivre... permettre de réaliser la
forme technique pour favoriser sa mémorisation puis son exécution.
Parfois
les pratiquants se croient suffisamment préparés alors que leur
formation est incomplète. C'est souvent pendant cette période que
l'on souhaite pratiquer autrement : des attaques plus réalistes,
des techniques appliquées avec plus de détermination..., au risque
de blesser son partenaire ou de se blesser soi-même. Voudrait-on
déjà faire du hors-piste ? Si oui, alors on se casse une jambe ou
on se prend un arbre.
Le
piège est que, lorsque l'on croit pratiquer suffisamment bien, on
commence à se satisfaire du niveau que l'on croit avoir atteint. Et
lorsque l'on ne parvient pas à exécuter une technique comme on le
souhaiterait, on rejette la faute sur Uke, ou on affirme que l'Aïkido
n'est pas efficace si par malheur on a eu à en découdre « dans
la vraie vie ». Alors on arrête de pratiquer..., déçu... Et
la faute sera toujours rejetée sur l'autre ou sur la discipline,
mais jamais ou trop rarement sur soi : ce ne sont pas les techniques
qui sont défaillantes, mais ceux qui les réalisent.
Par
ailleurs et au prétexte que l'Aïkido est un art que chacun peut
pratiquer comme il le ressent, des choix techniques ou pédagogiques
très différents se sont développés. Si tout est réalisable, tout
n'est cependant pas pertinent, encore moins lorsque l'on parle d'art
martial. Mais pour ne pas heurter la sensibilité de certains, les
fédérations n'imposent pas de « formes techniques ».
Elles laissent la pratique prendre différentes directions dont
toutes ne donnent vraiment pas l'envie de pratiquer cet art martial !
Dans
les Ryu où les Kata* (formes codifiées) participent à une
transmission relativement fidèle, les principes techniques restent
relativement bien préservés. Même s’ils évoluent au gré des
Senseï* (professeurs, maîtres), ils conservent leur cohérence
martiale.
On
pourrait croire que les disciplines pratiquant le Shiaï (test,
compétition) préservent aussi la totalité de leur répertoire
technique. Mais la plupart des règles imposées pour ces combats
« sportifs » excluent souvent les techniques les plus
dangereuses, donc les plus efficaces, qui ne sont alors plus
travaillées voire tout simplement oubliées. C'est généralement le
cas pour les disciplines où le Shiaï n'est plus considéré comme
un moyen mais une finalité.
Pour
renouer avec l'art martial et réintroduire cette cohérence martiale
parfois délaissée ou oubliée, il semble nécessaire que de
nombreuses formes techniques soient retravaillées. Des échanges
entre et avec les experts doivent être alors provoqués, non pas
pour les juger ou les comparer, mais pour remettre en question le
travail technique et le perfectionner. Nous ne pouvons pas juger de
notre pratique seulement par la connaissance que nous en avons.
Aussi, comme disait Coluche : " l'homme se croit
suffisamment intelligent puisque c'est avec cette même intelligence
qu'il se jauge ! " Ne tombons pas dans le piège de
l'autosatisfaction.
Pour
que les techniques d'Aïkido restent ou redeviennent celles d'un art
martial, nous devons les renouer avec leurs fondements comme avec
leurs principes.
*
les mots japonais ne se déclinent ni en genre ni en nombre, je les
écrits au singulier.
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