Je reste toujours dubitatif lorsqu'un pratiquant démontre, explique ou justifie une technique en affirmant que tel Senseï l'exécute ainsi. Je m'exclame alors en mon for intérieur : quel niveau d'expertise pour reproduire fidèlement la technique de son maître ! Ou bien : quelle prétention de la part de cet individu ! C'est hélas cette dernière que je retiens la plupart du temps.
Il en est de même, pour certains pratiquants revendiquant d'avoir suivi les enseignements de tel ou tel Senseï, même lorsqu'ils annoncent des périodes de quelques années, 3 ans ici, 6 ans là... Très rares sont les élèves reproduisant à l'identique les formes de corps de leur Senseï. J'en connais cependant : ils sont en général disciples depuis de longues périodes de pratique assidue, dépassant 10 années pour certains et plusieurs décennies pour d'autres. Je les compte sur les doigts d'une seule main.
Hormis les rares disciples réellement formatés, ce que démontre le pratiquant ne sera JAMAIS à l'identique de ce que pratique le maître. Il existera toujours un décalage entre l'enseignement donné et celui reçu. D'autant plus dans le Budo où l'interaction corps-esprit est une clef nécessaire pour accéder à la maitrise technique.
La multiplicité des enseignements.
Chaque maître possède ses propres caractéristiques et ses propres spécificités. Aussi les élèves d'untel seront bien différents des élèves de tel autre, même dans les disciplines où le Kata, forme codifiée, tend à reproduire une gestuelle uniformisée. Ce que chaque élève apprendra et retiendra dépend de ses propres qualités qu'il devra développer.
La multiplicité des méthodes d'enseignement des Budo en fait une spécificité. Chaque maître possède ses propres qualités " pédagogiques ", chaque maître transmet un savoir. Certains ne transmettent que de la technique, d'autres apportent un savoir-faire et un savoir-être.
Un corps d'enseignants peut se revendiquer de tel ou tel pédagogie, de tel ou tel maître, mais chaque enseignant est particulier et tous les enseignements seront différents. Une technique restera une technique quel que soit le professeur, mais la manière de l'appréhender et de la réaliser différera d'un technicien à un autre. Lorsque Pierre, Paul et Jacques enseignent l'Aïkido ou une autre discipline, ils enseignent respectivement l'Aïkido de Pierre, l'Aïkido de Paul et l'Aïkido de Jacques et ce ne seront pas les mêmes Aïkido.
Ainsi les disciplines se transforment et évoluent au fil des êtres qui les pratiquent et les enseignent. L'Aïkido de demain ne sera plus celui d'aujourd'hui : il sera autre bien qu'encore Aïkido. Les élèves de Pierre, Paul et Jacques auront eu leurs propres élèves qui, faute de curiosité et d'ouverture d'esprit, pourront ne plus se reconnaître dans leurs pratiques. Mais peu importe, le Budo restera le Budo, tout comme les élèves sincères.
Kata, Kihon, Waza et Keïko.
La transformation de la pratique peut amener une transformation de la discipline pratiquée. Tout comme la transformation de la pratique de Moriheï Ueshiba l'amena à donner un nouveau nom à sa pratique : Aïkido. Alors que son neveu Noriaki Inoue l'appellera Shinwa Taïdo (voie de l’affinité physique) puis finalement Shin'ei Taïdo quelques années plus tard. Et, Yong-Sul Choi qui fut aussi l'élève de Sokaku Takeda, fondera le Hapkido en Corée.
En fait, peu de traditions martiales sont restées intactes et il est impensable d'imaginer une discipline totalement figée dans le temps, Moriheï Ueshiba, lui-même, pratiquant de manière très différente tout au long de sa vie.
Il faut se tourner dans les disciplines du Budo travaillant les armes pour trouver de vielles lignées de pratiques qui sont basées sur les Kata, formes codifiées qui tendent à reproduire un geste technique similaire de génération en génération de pratiquants. Au travers de l'exécution des Kata, les Kihon, fondamentaux techniques, s'expriment jusque dans la technique même, Waza.
Cependant, l'étude de ses lignées indique bon nombre de transformations dans les arborescences généalogiques ou d'adaptations de la part des Soke (maître héritier) ou Doshu (responsable de la Voie). Plus la pratique, Keïko, laisse une grande liberté aux pratiquants, plus le risque que la technique se transforme augmente.
Et moins les enseignants sont gradés (compétents), plus les dérives sont possibles et le risque que la pratique s'éloigne des fondamentaux est important.
Cependant il est logique que la pratique évolue. Car, comme on le sait, tout ce qui est figé ne progresse plus et finit par se scléroser. Quitte à évoluer, autant que ce soit en bien, mais là encore les notions de bien et de mal sont toutes relatives.
Dans la jungle des disciplines et des Écoles, nous pourrons tout de même reconnaître celles qui sont basées sur le travail des fondamentaux ou des formes codifiées, garantes d'une transmission rigoureuse d'un savoir particulier.
Les valeurs transmises par le Budo.
Ce qui est notable dans la pratique d'un Budo est la transformation (évolution) de l'élève.
On peut citer les neuf grandes valeurs véhiculées par le Budo :
L’honneur : Meiyo
La fidélité : Chujitsu
La sincérité : Seijitsu
Le courage : Yuuki
La bonté, la bienveillance : Shinsetsu
La modestie, l'humilité : Ken
La droiture : Tadashi
Le respect : Sonchoo
Le contrôle de soi : Seigyo
Ou encore les sept vertus symbolisées par les sept plis du Hakama :
La bonne volonté : Jin
L’honneur, la droiture : Gi
La courtoisie, l’étiquette : Reï
La sagesse, l’intelligence : Chi
La sincérité : Shin
La loyauté : Chu
La foi : Koh
Quoi qu'il en soit, le Budo élève l'élève sincère. Il peut l'avilir tout autant, tout dépend du chemin emprunté.
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