Translate

mardi 1 novembre 2016

Travail global, travail analytique

Dans l'Éducation nationale, plusieurs méthodes ont été élaborées pour apprendre à lire et on retient aujourd'hui la méthode globale qui s'oppose à celle dite syllabique ou la complémente.

Qu'en est-il pour les arts martiaux ? Existe-t-il plusieurs méthodes d'enseignement ? Comment influencent-elles l'apprentissage ? Y a-t-il une méthode plus efficace qu'une autre ?


Le brevet d'état français pour la discipline Aïkido favorise une méthode analytique.
La conception d'un cours s'organise de manière structurée selon un schéma de construction défini avec une prise en main, une préparation physique, une étude technique orientée avec un thème précis, des objectifs préalablement définis et un retour au calme. L'objectif principal de la séance préparée est décliné en sous-objectifs qui permettent de « traiter » le sujet.
Cette méthodologie présente l'avantage de structurer les cours, d'orienter et concentrer l'étude vers un objectif précis. En outre, elle met en avant la compétence pédagogique qui permet à un « jeune enseignant » de présenter une bonne cohérence lors du déroulement d'une séance. Cette méthode permet aussi de pouvoir évaluer un candidat audit brevet d'état. Elle a permis à un grand nombre d'enseignants de « professer » avec un niveau technique peu avancé (1er Dan minimum dans un premier temps puis 2e Dan) tout en proposant un contenu se voulant « pertinent » ; ceci a servi les fédérations en développant le nombre des clubs sur le territoire.

Au Japon, les enseignants démontrent et les élèves copient.
On dit souvent que les élèves doivent tenter de « voler » la technique à leur maître. C'est en effet à l'élève de faire l'effort de comprendre la technique et non au maître de l'expliquer, encore moins de la justifier. C'est plus facile pour les enseignants, qui ne le sont qu'à partir d’un niveau technique avancé, car un grade minimum de 5e Dan est en général requis.
Si l'on demande à voir un détail technique, il n'est pas rare que le Sensei se contente de démontrer le mouvement dans sa totalité et c'est encore à l'élève d'observer pour trouver la réponse. Cependant les cours ne sont pas que « magistraux » et le Senseï corrige ses élèves sur des détails techniques.

La tendance fédérale est donc orientée vers l'analyse et les enseignants sont considérés comme des « entraîneurs » détenteurs d'une méthodologie. Les orientaux adoptent plutôt une méthode globale et les pratiquants devenus des « Maîtres » sont autorisés à transmettre leurs connaissances. Dans le Budo, la transmission est verticale, du maître vers l'élève.
Bien sûr, l'idéal serait d'avoir un bon maître avec une bonne pédagogie.

L'enseignant peut parfois utiliser une pédagogie dite active, avec une participation de l'élève dans une mise en situation l'impliquant pour l'amener à réfléchir et parfois trouver par lui-même. Cette méthodologie est sûrement plus adaptée aux occidentaux à l'esprit plus « cartésien » qui incite à comprendre d'abord intellectuellement.

Quelle que soit la méthode choisie, elle déteint sur la manière dont nous abordons la transmission d'un savoir technique.

Comme évoqué ci-dessus, la pédagogie française s'oriente plus vers l'analyse. Les enseignants ont tendance à développer un travail séquencé, en adéquation avec la formation reçue. Cette décomposition des mouvements permet un apprentissage « pas à pas », avec la possibilité de procéder à une évaluation en comparant avec le modèle proposé.

S’il est plus facile pour un débutant de comprendre intellectuellement une technique avec cette méthode, il lui est cependant difficile d'assimiler corporellement tous les détails de la gestuelle à restituer. Aussi, en général, il est demandé de tenter de reproduire « grossièrement » un mouvement et les détails ne seront pas corrigés tout de suite sauf s'il y a danger pour un des protagonistes. Pendant cette période, le pratiquant a le sentiment de progresser.

L'assimilation est donc plutôt globale, à l'instar des premiers tracés d'une esquisse en dessin. Au fur et à mesure de l'apprentissage, le trait se fait plus fin et plus précis et apparaissent alors les détails. À ce stade, le sentiment initial de progression cède souvent la place au doute et parfois au découragement.

Le danger serait de se concentrer uniquement sur les détails car se renforcerait alors un travail décomposé, stéréotypé, parfois incohérent. Les arrêts dits pédagogiques ne le sont que s'ils permettent d'être effacés par la suite pour réaliser un travail fluide. Comme sur une vidéo, il doit être possible de mettre le film en pause puis de reprendre le cours de l'action dans son déroulement.
Or ce n'est pas toujours le cas dans la pratique martiale. L'arrêt permet aux pratiquants de réajuster un positionnement ou de rétablir un déséquilibre, ce qui fausse le mouvement dans son ensemble. Ces réajustements faits inconsciemment ou volontairement empêchent la continuité du mouvement et placent un pratiquant dans l'impossibilité de terminer sa technique. Ce qui est un vol pur et simple de la technique.
Il s’ensuit parfois que le plus gradé explique au moins gradé ou, pire, que l'homme explique à la femme même si elle est la plus gradée.

Afin de ne pas tomber dans ces pièges, un travail plus global intégrant les détails analysés doit pouvoir être réalisé par le pratiquant. Même si un arrêt pédagogique est proposé par l'enseignant, qui fait souvent face à un groupe hétérogène, il est possible de ne pas marquer le temps d'arrêt. Il est alors important dans un premier temps de trouver un rythme d'exécution de la technique plutôt lent (Voir Éloge de la lenteur) qui permet un feedback corps-esprit pendant son déroulement. Cette relative lenteur permettra donc de vérifier les points à réaliser, mais elle permettra en outre de travailler avec des gradés comme avec des débutants. Lorsque l'occasion de travailler entre pratiquants de même niveau se présente, le rythme se devra d'augmenter jusqu'à ce qu'une limite d'exécution de fasse ressentir : mauvaise réalisation ou défaut de Ukemi. C'est en général à ce moment que l'enseignant apporte un éclairage nouveau qui nous incite à revoir la vitesse d'exécution pour pouvoir l'assimiler. Le travail redevient alors analytique.

Ainsi se développe généralement la progression entre travail global et travail analytique.

Permettez-moi de conclure cet article avec cette petite question de l'élève au maître :

(Les sentiers de la montagne. 2001.)

L’élève demande au Maître :
« Comment savoir si l’on est sur le véritable chemin ?
- On ne le peut, répond le Maître, il n’y a pas de véritable chemin. Deux sentiers mènent à la montagne, le premier est long et sinueux, le second est plus direct, lequel prendrais-tu ?
- Le second, Maître.
- Le second n’est pas le bon chemin.
- Devrais-je prendre le premier ?
- Le premier n’est pas le bon chemin. »

L’élève ne comprend pas, alors le Maître rajoute :
« Le novice doit prendre le premier pour apprendre à connaître la montagne.
L’initié le second, car il ne doit pas se disperser.
Le confirmé doit reprendre le premier, pour garder l’esprit du débutant.
Le gradé le second, pour aller à l’essentiel.
L’expert pourra s’aventurer hors sentier.
Et le maître ne prendra pas le premier, ni le second, parce qu’il est lui-même la montagne. »

1 commentaire:

  1. Ce n'était pas là le sujet, mais bien évidemment, le Ukemi permet de ressentir la technique. La progression de l'Ukemi se fait aussi en alternance entre travail décomposé et travail global : impensable de réaliser un Koshi Nage directement sur un novice ! ;-)

    RépondreSupprimer