Comment aborder un art martial dans sa globalité ? Comment pratiquer et expérimenter une technique de combat sans jamais vraiment combattre ? Comment appliquer les principes et préceptes inhérents à une voie martiale ?
Pour tenter de répondre à ces questions, je commencerai par ce qui me semble, non pas le début, mais un point de départ : choisir un maître.
1- Choisir un maître.
Les motivations qui poussent un individu à franchir les portes d'un Dojo ou, à défaut, celles d'une salle d’entraînement, sont toutes aussi nombreuses que variées. Certains recherchent une efficacité martiale, d'autres une activité véhiculant des principes moraux, d'autres encore, le moyen d'entretenir leur corps ou de maintenir leur esprit en éveil.
Tous ces individus vont constituer un groupe de travail dans lequel il faudra allier et combiner les forces agonistes et antagonistes. Ils seront eux-même la matière à travailler du groupe et par là-même celle de chaque individu qui le compose. Ils travailleront avec ou contre un partenaire mais ils travaillerons sur eux-mêmes. Afin que ces rencontres aux objectifs éparses ne s'organisent pas dans un chaos, le groupe doit s'organiser sous la responsabilité d'un guide. Tel un chef d'orchestre, il lui donnera une tonalité, proposera un contenu, assurera la cohésion du groupe afin que tous reçoivent et partagent les fruits d'un travail exigeant sur le corps et l'esprit.
La première étape pour aborder un art martial est tout d'abord de choisir un maître. Le temps est précieux dans les arts martiaux : il n'y a pas de temps pour le gaspillage. Le choix se devra d'être judicieux comme pertinent.
Le débutant ne choisit cependant pas toujours un maître, il choisit un club, un lieu, une proximité. Très chanceux est celui qui trouve ainsi son maître. Alors, il faudra parfois savoir se présenter devant un autre maître si le besoin s'en fait ressentir.
Car le maître n'est pas une constante en soi, il doit être celui qui fait avancer l'élève. Lorsque le maître n'a plus matière à enseigner à son élève, il n'est plus maître de l'élève. Il doit alors élever l'élève au rang de maître ou lui permettre de se lever [se mettre debout pour s'élever] et de trouver un nouveau maître afin de persévérer sur la Voie.
Le maître qui se veut être un guide se doit donc d'avancer aussi continuellement sur la Voie dont on sait qu'elle est sans fin.
Une fois donc que le pratiquant a choisi un maître, il se doit d'apprendre et de mettre en pratique les enseignements reçus et, ce, avec une totale confiance.
2- Pratiquer sans relâche, relâcher l'esprit.
Les voies martiales agissent sur l'interaction corps-esprit. Seule la répétition effrénée du geste permet une réorganisation du schéma corporel et l'ouverture de nouvelles voies de circulation des influx bioélectriques ou, pour certains, de s'éveiller au flux du Ki. Il va de soi que cela ne s'acquiert que par une pratique pleine et entière.
Beaucoup de personnes pensent avec leur esprit conscient et croient avoir compris dès que leur mental a saisi le sens d'une technique ou d'un mouvement. Ils s'arrêtent alors de pratiquer. Beaucoup sont dans cette erreur. Ceci les prive d'une véritable progression : regarder un film ou lire un livre n'exerce pas le corps. Certes, cela peut aider à la compréhension et favoriser l'orientation d'une pratique mais, en aucun cas, cela ne remplacera le travail corporel indispensable à la réorganisation corps-esprit. Comprendre par l'esprit n'est pas " Comprendre "; dans le sens de son étymologie, comprendre c'est prendre avec soi, en soi.
Ce n'est que lorsque l'esprit et le corps ont été suffisamment préparés qu'il est envisageable d'exécuter un nouveau geste technique sans avoir à travailler un mouvement précis, l'unité corps-esprit ayant déjà la faculté de le réaliser. L'expert en est capable, il est prêt et paré.
Auparavant, le pratiquant se doit alors de mettre son corps en mouvement sans chercher à analyser [avec son mental] ce que le maître propose. [Nous partons de l'axiome que le pratiquant a choisi son maître et que donc il lui accorde sa confiance.]
" Sans dissertation inutile, la compréhension viendra de la pratique. " a dit Maître Moriheï Ueshiba.
Oui, la compréhension viendra de la pratique. Elle viendra de l'épuisement du corps dans la pratique. Et le bon maître saura épuiser le corps de l'élève sans l'user ou le blesser afin de lui permettre une longévité suffisante.
À bout de souffle, à corps perdu dans la pratique, l'esprit finit par lâcher et rompre avec cette volonté éperdue de vouloir toujours tout contrôler.
Dans l'effort intense, le corps sait trouver les ressources dont il dispose. C'est l'esprit qui ne peut plus gérer, c'est lui qui demande alors au corps de s'arrêter le temps d'un souffle pour tenter de récupérer sa capacité de contrôle. Malgré la fatigue, malgré la chaleur ou le froid et malgré la douleur parfois, la volonté éprouvée de persévérer oblige l'esprit à lâcher encore plus et à placer sa confiance en ce corps animé qui ne vit plus que dans l'instant présent. L'esprit peut se relâcher enfin : il n'est plus un esprit seul, il rentre en symbiose avec le corps. Ensemble, ils forment l'entité corps-esprit recherchée.
3- Rester sur la voie martiale
Le temps est précieux dans les arts martiaux : il n'y a pas de temps pour le gaspillage. Il est essentiel d'avancer toujours dans la Voie et de ne pas se disperser. Inutile alors de concevoir des exercices dont le seul but serait d'acquérir une capacité sans même la développer dans le geste technique. Inutile de passer du temps à apprendre uniquement à respirer, comme inutile de perdre son temps à essayer de raisonner ou de converser avec son propre mental. Inutile donc de perdre du temps en s'égarant dans des chemins de traverse, parfois si rassurants, alors que la Voie est là, ici, devant soi, droit devant.
Oui, il faut rester dans la Voie. Il faut alors apprendre le geste technique par la pratique, développer le souffle dans la pratique, comprendre la technique par la pratique, appliquer les principes dans la pratique. Bref, il faut pratiquer toujours et encore ou encore et toujours mais, surtout, il faut toujours pratiquer sur la Voie.
Il y est si facile de se disperser, d'entrevoir quelques possibilités attrayantes qui permettraient au corps de se reposer ou à l'esprit de se rassurer. Les pièges sont nombreux, rester sur la Voie martiale implique une grande rigueur.
On pourrait penser que cela est encore plus difficile pour une discipline sans compétition, où jamais nous ne testons vraiment les techniques. Devrions-nous privilégier les voies avec compétition ?
La compétition [sport de combat] n'appartient pas à la Voie martiale. La compétition appartient au sport. Le sport est un jeu. Croire que le combat de compétition permet de tester une technique de combat est une erreur. Seul le combat [réel, parfois jusqu'à la mort] permet de tester une technique martiale. Ceci est inconcevable pour le sport où les règles limitent les actions dangereuses et définissent le nombre de points qui désignera un vainqueur et ce, dans telle ou telle catégorie. Ces mêmes règles disqualifieront les coups portés vers les points ou organes vitaux : ceci n'est pas la Voie martiale. Car même s'il ne s'agit pas aujourd'hui de blesser ou tuer, la pratique martiale se doit de rester martiale.
Les sports de combat se sont éloignés de la Voie martiale. Ils prônent les bienfaits de leur pratique, une philosophie de vie, des principes moraux... qu'ils n'appliquent que trop rarement.
L'art martial ne doit pas s'éloigner de la Voie martiale, elle qui possède des techniques destructrices et parfois mortelles, elle qui enseigne comment se contrôler pour éviter de les utiliser sans un véritable motif. Elle qui, lorsqu'elle utilise le Shiaï (combat de compétition), le fait à bon escient en développant un esprit de non-compétition.
4- La recherche d'un but.
Suite à la période de Sengoku Jidaï (époque du pays en guerre) les Samouraïs ont été contraints de se reconvertir en grande partie dans l'exécution de tâches administratives.
La plupart ne savaient ni lire ni écrire et la reconversion ne fût pas sans difficultés. Beaucoup n'ont pas abandonné pour autant leur entraînement des différents arts de guerre qu'ils pratiquaient.
Au fil du temps, de nombreux « serviteurs » délaissèrent l'entraînement martial et seule une poignée avait de réelle capacité dans le maniement du sabre. Lorsqu’une capacité n'est plus exigée, elle ne devient plus nécessaire et s'en trouve alors délaissée.
Pour ceux qui continuèrent à pratiquer, les occasions de tester leurs capacités étaient en fait relativement rares. Pour le samouraï, il devenait nécessaire de trouver un autre but. L'idéal d'un perfectionnement de l'esprit s'ajouta à celui du perfectionnement de la technique, véhiculant les valeurs nobles et développant les capacités demandées pour servir avec loyauté, jusqu'à donner sa vie si nécessaire.
De nos jours, la Voie martiale offre au pratiquant une ouverture vers le Bien-être. Je ne reviendrai pas ici sur les bienfaits d'une pratique qui développe et entretient le corps, qui invite l'esprit à comprendre son Ego afin de se libérer de ses propres pièges ou encore, qui permet un accès vers la sérénité et la plénitude. Le pratiquant devient un Être qui progresse et qui s'accomplit, qui améliore les relations avec autrui et parfois ouvre une porte vers la clairvoyance.
D'autres voies le permettent aussi. Si ces voies centrent leur pratique sur la méditation, sur le chant, sur la préparation du thé ou sur toute autre discipline, ce qui fait la particularité d'une Voie martiale, c'est le moyen choisi pour atteindre le but : une pratique centrée sur la technique.
La pratique martiale couplée avec la volonté de l'amélioration de soi offre une nouvelle perspective : celle de l'accomplissement de l'Être.
5- Le but n'est pas le but, le chemin est le but.
En mathématique, est-il préférable de savoir combien font deux plus deux ou bien de comprendre le principe de l'addition ?
Dans le premier cas, nous connaîtrons un résultat. Dans le second, nous saurons additionner et nous pourrons obtenir nombre de résultats.
Ainsi, nous pouvons comprendre qu'il est préférable de connaître le processus. Cependant, si nous ne le comprenions que par notre « esprit conscient », nous pourrions nous satisfaire d'avoir compris le processus et ne pas nous y exercer, à l'instar du pratiquant qui se satisfait de comprendre par l'esprit et non par le corps.
Si nous ne pratiquons pas régulièrement l'addition, nous ne pourrons accéder à un calcul intuitif et rapide basé sur l'expérimentation. De même, si nous ne pratiquons pas régulièrement notre art, nous ne pourrons accéder instinctivement à la réalisation de ses principes.
Aussi, s'il n'est pas nécessaire de connaître le but (dans l'exemple : savoir que deux et deux font quatre), il est indispensable d'arpenter le chemin (s'exercer à additionner). Paradoxalement, l'exercice favorisera la compréhension (savoir additionner de manière " automatique ") et permettra l'accès au but (connaître le résultat).
Car le secret, qui n'en est pas un, de la Voie est qu'elle permet d'atteindre le but sans avoir à chercher à l'atteindre. Le chemin comprend à la fois le moyen et le but : le but n'est pas le but, le chemin est le but.
Certes, celui qui y chemine depuis longtemps sera plus avancé que celui qui démarre son chemin, si toutefois il y chemine avec sincérité. Cependant, celui qui est moins avancé peut, par la qualité de sa démarche, atteindre spontanément le but car en cheminant avec un cœur pur, il entre directement dans la Voie, à lui de ne plus la quitter.
Ainsi, considérer la Voie en tant que telle permet d'aborder l'art martial dans sa globalité. Sa pratique à elle seule se suffit à elle-même.
" Sans dissertation inutile, la compréhension viendra de la pratique. "
Ayez confiance en la pratique, ayez foi en elle ! Et toutes ses promesses s'ouvriront à vous.
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