Le grade doit permettre au pratiquant de se situer sur une échelle de progression, d'évaluer le chemin accompli et de se fixer des objectifs pour continuer à progresser. Il est d'usage courant de dire que le grade ne doit pas être objet de compétition entre les pratiquants car le grade tient compte non seulement du niveau technique mais aussi d'autres facteurs comme l'assiduité, les progrès accomplis, l'investissement dans la pratique ou encore l'âge du pratiquant. Ainsi, le professeur évalue l'élève en mesurant le niveau des différents paramètres.
Dans les Ryu (Écoles), lorsque le Senseï accorde un grade à un élève, il le fait avec une extrême précaution car accorder un grade à une personne qui ne le mériterait pas remettrait en question le sérieux même de l’École et deviendrait source de discorde. De même, ne pas accorder un grade à un élève qui a atteint à la fois le niveau technique, l'éthique et un niveau d’investissement satisfaisant revient à remettre en question les processus d'évaluation et de progression adoptés, donc le sérieux même de l'École.
Le système fédéral français, calqué sur un système sportif, prévoit une délégation qui confie aux fédérations françaises l'organisation de la pratique, la délivrances des titres sportifs (champions, distinctions) et la formations de ses cadres. L’État reconnaît en chaque fédération une compétence particulière, c'est pourquoi le système juridique n'accorde qu'une délégation pour chaque discipline. Par le biais des commissions spécialisées des grades Dan, les fédérations d'arts martiaux et de sports de combat valident les grades proposés par lesdites fédérations.
Nous savons qu'il existe deux fédérations françaises d'Aïkido en France : or la loi ne le prévoit pas. Les deux fédérations françaises d'Aïkido n'ont pas la délégation de l’État, mais un simple agrément sportif, pour raison majeure que l'absence de compétition ne cadre pas avec la délivrance de la délégation. Pour elles aussi, l’État, par le biais des lois et de la commission spécialisée des grades Dan, contrôle la délivrance des grades comme il contrôle par ailleurs la délivrance des diplômes d’État d'éducateur sportif. Ainsi un grade validé par une fédération française peut être considéré comme un grade d’État, la loi française prévoyant que nul ne peut se prévaloir d'un grade Dan s'il n'a pas été validé par la commission des grades avec une sanction pécuniaire pour tout contrevenant.
Les modalités d'obtention d'un grade fédéral français sont diverses :
Les grades Kyu sont confiés aux enseignants brevetés fédéraux ou d’État, quel que soit le grade de l'enseignant. Ainsi un enseignant Shodan, 1° Dan, est habilité à délivrer un 1° Kyu alors que la plus grande majorité des experts est unanime pour dire que l'on ne devrait juger qu'à grade moins deux, soit qu'un enseignant 1° Dan ne devrait pas délivrer un grade au dessus du 2° Kyu.
Les grades Dan s'obtiennent sur examen jusqu'au 4° Dan. Mais ils peuvent s'obtenir sur dossier pour les pratiquants n'étant plus aptes physiquement à se présenter à l'examen ainsi que pour ceux que l'on dispensera d'examen et à qui on attribuera un grade pour récompense de l’investissement dans la vie fédérale, ce qui pose un sérieux problème en terme de cohérence car aucune différence entre un grade administratif et un grade technique n'est faite, d'autant que les gradés " administratifs " revendiquent leur grade comme grade technique. Je laisse le lecteur tirer ses propres conclusions sur ce point.
Pour les grades délivrés à l'étranger, une procédure est envisagée pour reconnaître le grade par équivalence, les dossiers sont étudiés au cas par cas pour éviter toute dérive et ne pas voir une fuite des pratiquants vers un groupement étranger, ce qui enlèverait un contrôle des fédérations françaises.
Au-delà du 4° Dan, les grades dits de haut niveau sont accordés après étude de la commission spécialisée, uniquement sur dossier et sur proposition d'un administratif ou d'un expert technique : ce qui, en terme d'éthique, fait là encore une très grande différence :
Lorsqu'un pratiquant est proposé à un grade de haut niveau par un expert, supérieur hiérarchique technique, pour son niveau technique, son éthique et son engagement, c'est la reconnaissance de ses pères (ses supérieurs). Une filiation technique est alors respectée et nul ne viendrait remettre en question le grade délivré.
Mais qu'en est-il lorsque c'est un administratif, moins gradé et parfois même pas titulaire du Shodan qui est à l’origine de la proposition ? Quelle valeur a ce grade ? Quelle fierté afficherait le récipiendaire si ce n'est une satisfaction d'Ego ?
Il en est de même pour les grades sur dossier du 1° au 4° Dan lorsque ceux-ci ne sont pas obtenus sur proposition d'un haut gradé.
Il existe une grande différence entre Être et Avoir, et l'observateur n'est pas dupe. Imaginez un arbitre qui sanctionnerait de manière injustifiée et délibérée une équipe lors de la finale d'un grand championnat en ne respectant pas les règles instaurées : « à mort l'arbitre ! » crieraient les spectateurs. Et que penser de la fédération si celle-ci valide le résultat truqué ?
Pour en revenir aux examens, le système de jury fédéral aurait pu être magnifié (perfectionné) : un enseignant propose un élève pour le grade supérieur. Il présente alors l'élève à ses pères (ses supérieurs) et non à ses pairs (collègues). Les pères se réunissent, évaluent le candidat et confirment (ou non) son niveau. Dans le cas d'une réussite, les pères confirment l'évaluation de l'enseignant et il est fort probable qu'ils lui accordent une totale confiance pour la délivrance des grades à grade moins deux (du niveau de l'enseignant), c'est-à-dire qu'ils exemptent l'élève candidat d'une confirmation d'évaluation. Dans le cas d'un échec, ils définissent avec l'enseignant les points à travailler et fixent avec lui une nouvelle échéance pour le candidat. Ils peuvent à cette occasion réajuster le niveau d'exigence de l'enseignant afin que celui-ci ne propose pas d'élève n'ayant pas atteint un niveau suffisant, cette remise en cause restant profitable à tous.
Devoir présenter un élève devant ses pairs (collègues) revient à remettre en question la capacité d'évaluation de l'enseignant qui pourrait être altérée par les émotions, le relationnel ou la peur de perdre un élève. Cependant cela veut dire que d'un côté la fédération reconnaît un niveau technique et un niveau pédagogique à un enseignant et que de l'autre elle le juge inapte à évaluer un élève. Or comment évaluer le niveau d'investissement du pratiquant, son assiduité et ses progrès accomplis si on ne connaît ni le pratiquant ni son parcours ?
Alors l'examen sanctionne uniquement le niveau technique, même s'il tend parfois à tenir compte de l'âge (alors que cela devrait faire l'objet d'un grade sur dossier) ou du nombre d'échecs du candidat (et un président de session d'examen de dire : " ça fait trois fois qu'il échoue, mesdames, messieurs les examinateurs, soyez indulgents ", je peux en témoigner, j'y étais !). Si le candidat n'a pas la capacité ou s'il n'a pas le niveau, c'est qu'il ne peut prétendre au grade supérieur et le lui accorder revient à remettre en question toute la légitimité des grades accordés par la même organisation et donc l'organisation elle-même.
Lorsque j'ai commencé à enseigner, il m'est arrivé de critiquer certains mouvements ou organisations en dehors du système fédéral. En effet, pour certains, il était plus facile de quitter un système dont je ne comprenais pas encore tous les rouages, et de continuer autrement. Certains se sont ainsi attribué des grades entre eux, parfois et souvent de manière non justifiée. Je n'ai pas su à l'époque faire la différence entre tous ces mouvements et j'avoue avoir eu tendance à les mettre dans le même panier.
Puis, la maturité aidant, j'ai commencé à entre-percevoir un sérieux et une éthique chez certains, tout en découvrant la face cachée (le côté obscur) du système fédéral français. Et je dois avouer que j'ai été vraiment déçu par certains comportements qui sont pour moi contraires à l'éthique d'un Budo. Lorsqu'une organisation ou fédération perd sa logique de délivrance de grade et la combine avec des négociations, elle perd toute légitimité. Il est dommage que le comportement de certains, qui revendiquent pourtant d'être au service, entache la rigueur et l'honnêteté d'autres.
Pour l'Aïkido, j'ai alors voulu me rapprocher de ma lignée d'enseignement. Cette lignée remonte au Hombu Dojo de l'Aïkikaï. J'ai alors demandé à un de mes supérieurs techniques de me présenter au grade Aïkikaï, ce qui me sera validé sans avoir à présenter un examen, car mon supérieur juge mon niveau supérieur au grade à valider. Ce grade représente dès lors la reconnaissance de mes pères et m'a procuré une bien plus grande joie que l'obtention du grade fédéral. Et même si certains critiquent ou n'y voient que l'aspect financier, je constate que mon Yondan Aïkikaï ne m'a pas coûté plus que les 24 années de licences fédérales, additionnées au montant des inscriptions aux examens et aux stages obligatoires pour s'y présenter : je ne vois pas pourquoi je ne contribuerais pas à l'Aïkikaï comme j'ai contribué à la fédération. N'oublions pas que l'Aïkido est un art martial japonais, et même si le système des grades Dan est relativement récent, le grade a toujours été accordé par un supérieur technique dans le cadre d'une école et n'a de validité qu'en son sein.
Lorsque j'analyse les systèmes de graduation de groupes autonomes, j'y vois, du moins pour les plus sincères, un système cohérent, humain et gratifiant tant pour les pratiquants que pour l’École elle-même. Certaines de ces écoles combinent leurs grades (Aïkikaï ou autres) avec les grades fédéraux, comme l'AFA, Association Francophone d'Aïkido de Belgique, pour ne citer qu'elle. Certaines de ces écoles ont une grande renommée, et de ce fait les grades accordés sont prestigieux. D'autres écoles sont moins connues, mais le niveau des pratiquants n'en est pas moindre.
Qu'en sera t-il du devenir de l'Aïkido en France ? Les fédérations françaises accéderont-elles à la maturité nécessaire pour assurer les missions dont elles sont investies ?
En attendant, les pratiquants investis se tourneront de plus en plus nombreux vers des structures plus cohérentes, plus sincères, plus humaines et plus respectueuses de l'éthique d'un Budo.
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