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vendredi 5 décembre 2014

Intégrité corporelle



Le respect de l’intégrité physique est associé à la finalité pacifiste et à la philosophie caractéristique de l'Aïkido. Malgré la large place qui lui est laissée, y compris en tant que critère d'évaluation pour les passages de grades, il reste souvent un concept mal compris.


Un cadre juridique.

L'intégrité physique est un droit fondamental intégré dans le Code civil français en vertu duquel chacun a droit au respect de son corps. Des sanctions pénales peuvent être prononcées dans les cas d'atteintes à l'intégrité corporelle. Le respect du corps humain est donc encadré par la loi et ce droit s'exprime de façon différente selon que la personne est vivante ou décédée.

Les arts martiaux sont soumis au même cadre juridique. Il est donc de leur devoir d'encadrer leur pratique dans le respect de ces lois. Ceci les amène à adapter ou interdire certaines techniques, les faisant passer parfois du statut d'art martial à celui de sport de combat.
Si les pratiques actuelles permettent de minimiser les risques de blessure, un accident peut toujours se produire. C'est pourquoi des assurances sont imposées pour la responsabilité civile (RC) des pratiquants, des clubs, des professeurs et des fédérations. Obligation est même faite de proposer des extensions d'assurances notamment pour des garanties individuelle-accident (IA) au cas où le pratiquant se blesserait seul.

Usure du corps et microtraumatismes.

Malgré le cadre juridique imposé par l’État et les principes de précaution mis en place par les fédérations, le pratiquant n'est pas à l'abri de voir son intégrité corporelle diminuée lors de la pratique de son art martial.

Pour l'Aïkido, l'orientation pacifiste, le mode de pratique partenaire-partenaire et l'absence de compétition permettent de conserver des formes techniques qui pourraient s'avérer dangereuses si elles étaient appliquées avec force par Tori ou avec résistance de la part de Uke. Comme les attaques ne sont pas portées et que la finalité des Atémis n'est pas de frapper pour frapper, les risques de coups sont très limités. Le principal danger se situe plutôt au niveau des articulations.


Articulations de l'épaule

Si les risques de blessure ou d'accident sont réduits par une pratique encadrée et aménagée, l'usure prématuré du corps et des microtraumatismes répétés sont souvent source d'une atteinte plus sournoise de l'intégrité physique car elle n'est visible qu'à long terme. Il est alors important de comprendre que la répétition d'un geste mal fait est une atteinte à l'intégrité physique.

Tous les pratiquants ne sont pas soumis au même taux de risque d'usure du corps ou de microtraumatismes selon son classement : loisir, amateur, professionnel. S'il n'est pas fait de distinction entre un pratiquant amateur et un professionnel en Aïkido, une différence notable en niveau et en nombre d'heures de pratique peut s'observer. Ainsi celui qui pratique le moins est le moins exposé aux risques, si toutefois la pratique reste respectueuse de la physiologie et de l'anatomie fonctionnelle du corps et plus particulièrement des articulations.

Nous devons aussi prendre conscience que la pratique des arts martiaux est une pratique très récente dans l'histoire de l'Homme. Si les techniques sont parfois très anciennes, notre pratique est jeune. Entre les Maîtres fondateurs des Budo modernes et les pratiquants d’aujourd’hui, il n'y a pas plus de deux ou trois générations. Ce qui est trop peu pour recueillir suffisamment de données pour procéder à une étude détaillée sur les conséquences d'une pratique assidue d'un art martial sur l'usure ou le vieillissement prématuré du corps humain.

Cependant, une observation pertinente peut nous amener à nous interroger sur ce sujet. Il suffit d'observer nos maîtres : fonctionnalité du genou fortement atteinte ; chevilles, poignets, coudes, épaules abîmés ou douloureux ; mal de dos, gène au niveau de la colonne vertébrale... sont les signes évident d'une pratique non respectueuse du corps. Nous devons y être attentifs, les analyser et œuvrer pour améliorer la longévité dans la pratique pour nous et les générations futures.

Avant de tenter détailler mes propos, je voudrais exclure le cas caricatural du professeur qui applique des techniques de manière brutale et peu respectueuse sur ses élèves, qui eux les subissent et se les appliquent « virilement » entre eux, multipliant blessures et traumatismes divers.

Apprentissage et prise de conscience.

Ayant pour ma part un souci permanent d'une pratique respectueuse du corps et des articulations, je constate que malgré mes consignes beaucoup d'élèves ne réalisent pas qu'ils pratiquent encore avec force, ce qui constitue une forme de violence et une atteinte à l'intégrité de son partenaire. Rappelons-nous qu'une des premières règles inscrites dans les Dojos est de ne jamais travailler en force.
Bien entendu, nous pratiquons un art martial et nous ne pouvons l'aborder comme une activité douce et idéaliste, où tout le monde serait beau et gentil. Mais nous devons réaliser que nous ne pouvons pas placer un geste technique potentiellement dangereux sur un partenaire qui nous prête son corps, sans prendre conscience des conséquences préjudiciables si nous les appliquions sans respect pour son intégrité physique.

Il ne faut pas confondre Art martial et Art de combat (je ne parle pas de sport de combat, aux aménagements d'ordre technique, mais d'Arts de combat où vie et mort sont en jeu). Si nous travaillons certaines techniques de combat dans le cadre d'un art martial, nous ne pouvons les appliquer réellement car nous ne sommes pas en combat (je ne parle pas de compétition mais bien de combat).
Nous devons alors aménager notre pratique. C'est pourquoi il est demandé de ne pas forcer les mouvements et tenter de les travailler avec souplesse durant la période d'apprentissage qui peut durer trois ou quatre ans pour les pratiquants peu assidus ou ne pouvant pratiquer qu'une fois par semaine. Au-delà, le pratiquant a, en théorie, appris à travailler souplement et n'applique plus les gestes techniques avec rigidité ou force.

Au fur et à mesure de la progression, nous apprenons à combiner souplesse et fermeté. Nous devons alors veiller à ce que notre partenaire puisse absorber cette fermeté par un travail du Ukemi (le corps qui reçoit) adapté. Sinon nous ne respectons plus un principe fondamental de notre discipline : le respect de l'intégrité !

Avez vous déjà blessé un partenaire ? Avez-vous déjà fait mal à un partenaire ? Vous a t-on déjà demandé de travailler moins fort ou moins vite ?
Interrogez-vous sur votre pratique et demandez-vous où en est votre niveau de conscience sur ce sujet. Ceci est tout aussi valable si vous travaillez le Ken et le Jo.

Une pratique non adaptée.

Considérons maintenant que notre pratique est souple et soucieuse du respect d'intégrité. Les risques de blessures sont minimisés. Les seuls risques proviennent d'une pratique non adaptée ou non respectueuse des axes morphologiques du corps provoquant des microtraumatismes ou une usure prématurée des articulations.
Essayons alors de cerner les risques afin d'éviter les pièges dans lesquels sont tombés certains de nos maîtres. Ces pièges sont nombreux. Si certains sont liés aux modes de pratique notamment le Suwari Waza, d'autres nous attendent là où on le les attend pas.

Le premier danger provient du non-respect de la fonctionnalité de nos articulations. Il est défini trois types de mouvements : la flexion et l'extension (plier, déplier) ; l'abduction et l'adduction (incliner) ; la rotation interne ou externe (tourner). Cependant la plupart des articulations n'autorisent que la flexion et l'extension.
Dans un objectif de mise hors de combat, certaines techniques appliquent des mouvements contre nature aux articulations. Nous ne pouvons pas mettre en place ces techniques sans un protocole de pratique Uke-Tori où les rôles sont définis et où les gestes seront contrôlés afin de ne pas dépasser la limite au-delà de laquelle il y aurait blessure. Il s'agit alors de créer, pour les techniques les plus dangereuses, un simulacre fleurant la limite tolérable sans toutefois la dépasser.

Les chevilles. (flexion-extension)

Commençons par les chevilles. La flexion et l'extension du pied ne s'organisent que dans l'axe de la jambe. Si une tolérance existe pour un mouvement latéral, elle reste très limitée. Le principal danger pour la cheville est l'entorse. Cependant, lorsque l'on observe les Aïkidokas dans un mouvement de projection avec un Hanmi (position dite en demi-corps) prononcé, on peut voir un cisaillement de la cheville sur le pied arrière, exagérant la laxité constitutionnelle de la cheville et créant un microtraumatisme.
La pratique en Suwari Waza peut aussi forcer l'articulation de la cheville du fait de la position dite « orteils crochetés ».
Les brise-chutes arrière et les roulades avant peuvent être aussi la source de microtraumatismes. Lors des brise-chutes sur l'avant, on peut souvent observer un impact en cisaillement lorsque les pieds heurtent le Tatami. Il existe cependant un processus gestuel qui permet de minimiser voire supprimer ces impacts.
La position Seïza participe à une hyper-extension à laquelle s’ajoute le poids du corps sur les chevilles et les pieds.
La principale solution pour remédier aux microtraumatismes est de respecter l'axe de flexion de la cheville et de contrôler l'axe du pied dans les mouvements.




Le genou (flexion-extension).

Fortement sollicité en Shikko, en position Seïza, dans les brise-chutes arrière, le genou ne connaît aussi qu'un seul axe de flexion.
De nombreux mouvements peuvent porter atteinte à cette articulation, notamment tous les mouvements en Tai Sabaki avec pivot. Lorsque l'on fixe les pieds au sol et que l'on essaie de pivoter à partir du bassin, on ressent rapidement la limite d'amplitude au niveau des genoux. Aussi le pivot doit toujours s'effectuer en prenant appui sur la partie avant du pied et principalement les orteils.
Il est aussi une position peu cohérente pour le genou, c'est celle qui survient après un Taï Sabaki de type Irimi-Tenkan. Le pied avant ayant servi d'appui pour le pivot se retrouve en ouverture. Dans cette position, il est important que le genou reste à l'aplomb des orteils pour ne pas subir de mouvements en dehors de son axe de flexion.
Comme pour la cheville, lors des projections en Hanmi, un cisaillement conjoint de la cheville et du genou s'opère sur la jambe arrière si l'axe du pied n'est pas contrôlé.

Il existe un Suburi (exercice de coupe répétée au Ken) assez répandu issu de cette position que l'on retrouve en Kashima Shin Ryu, Ecole qui a de nombreux liens avec l'Aïkido. Hélas, lorsque l'on répète ce type de Suburi, on balance le corps d'avant en arrière et on ne respecte plus l'articulation du genou. Je suis convaincu que ce mouvement est à l'origine de nombreux traumatismes chez ceux qui l'ont pratiqué intensément.

Notez aussi que tous les mouvements en pivot lorsque l'on se relève ne sont pas profitables pour les genoux. Pourtant nombreux se relèvent d'une chute tout en pivotant afin de faire face à son partenaire, ce geste provoque indéniablement un mouvement qui ne respecte pas l'axe de flexion du genou.

Un autre phénomène aggravant auquel peu sont avertis est le tatami lui-même. Si le Tatami est trop mou, le corps s'y enfonce pendant les pivots, ce qui créer une pression dans l'articulation du genou. Aussi évitez de pratiquez sur un tatami trop mou ou avec une double épaisseur de tapis.

Le déplacement Shikko mérite aussi que l'on y porte une attention particulière afin de ne pas malmener les genoux.



La colonne vertébrale et le cou.

Si nous excluons les risques de blessure dus à des techniques spécifiques (Irimi Nage, Tenchi Nage), les principaux traumatismes sont liés aux impacts au sol lors des brise-chutes. Ils peuvent provenir de mouvements de torsion épaules-hanches. Notons que les cervicales peuvent aussi être soumises à rude épreuve lors des chutes arrière.

Les épaules et l’acromion-claviculaire.

L'épaule est un ensemble articulaire complexe qui permet de relier le membre supérieur au thorax. Elle est composée de trois articulations : l’articulation sternoclaviculaire, l’articulation acromio-claviculaire et l’articulation scapulo(omoplate)-humérale. C'est un système très complexe qui permet une grande diversité de mouvements.

La pointe de l'acromion et l'articulation acromion-claviculaire peuvent être atteints lors des roulades avant. Le Ukemi doit être correctement travaillé pour minimiser ces risques. Une technique de type « Ikkyo Omote», appliquée trop fermement peut aussi créer une blessure, notamment si Uke a du mal à se relâcher pour absorber le mouvement.

Les muscles de la coiffe des rotateurs peuvent être soumis à des faux mouvements ou des mouvements forcés lors d'un Shiho Nage par exemple.

Les coudes (flexion-extension).

Comme pour le genou, le coude ne connaît qu'un seul axe de flexion. Tous mouvements forcés sont donc à proscrire. Les risques sont accentués par les formes techniques qui peuvent tendre vers une torsion de l'avant-bras ou un porte-à-faux sur le coude.

Les poignets (flexion-extension, abduction-adduction).

La flexion du poignet se fait dans l'axe de l'avant-bras, mais l'articulation du poignet permet une amplitude latérale (maximale de l’adduction à 45° et de l'abduction à 15°). En combinant la flexion-extension, l'adduction-abduction avec la rotation de l'avant-bras, nous avons de nombreuses possibilités de mouvement.
Les principaux risques du poignet sont liés à la torsion, à l'hyper-flexion ou l'hyper-extension.

Pratiquer bien, pratiquer longtemps.

Si nous devons être blessé, ou même mourir, lors d'un vrai combat, espérons que ce soit pour une cause que nous estimons juste. Dans la pratique quotidienne ou hebdomadaire, toute blessure est à exclure, c'est pourquoi il est important de pratiquer selon les règles et suivre les consignes du professeur. L'accident qui peut toujours survenir est à déplorer. Nous ne pouvons ignorer les autres sources de blessure : les microtraumatismes et les gestes mal faits qui, répétés 10 000 fois encore, risquent de scléroser précocement notre pratique par une arthrose sournoise des articulations ou une gêne fonctionnelle.

Notre pratique peut être considérée comme une sorte de thérapie d'entretien et de longévité pour notre corps, mais elle ne doit pas se faire au détriment de l'autre, notre partenaire sans qui il n'est plus possible de pratiquer.
Alors pour pratiquer longtemps, pratiquez bien !

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