Qu'est-ce
que la Voie des arts martiaux ? Qu'entendons-nous par Voie ?
Et comment y cheminer ?
Do,
Michi ou Tao sont la prononciation du même idéogramme, selon qu'il
est lu en japonais ou en chinois. Il peut se traduire par chemin,
sentier ou route. Cet idéogramme renvoie à toute une philosophie
issue du Taoïsme et empreint de confucianisme, il nous invite à une réflexion bien plus
profonde que le simple fait de marcher en nous interrogeant sur le
sens de notre quête et sur le devenir de notre Être.
La
classification des arts martiaux en disciplines cloisonnées invite
le néophyte à voir derrière le terme Do une simple appellation :
Judo, Aïkido, Kendo, Iaïdo, Karatédo... qui caractérise les
différentes pratiques souvent considérées comme un simple
" sport " de combat. Ainsi en est-il pour le
débutant qui s'engage dans une étude en s'y adonnant quelques
heures par semaines.
Quelques
années plus tard, le pratiquant n'est plus entouré que de quelques
Do-ai (compagnon d'étude) dont la plupart ont arrêté la pratique
faute d'investissement. Si pour lui l'étude continue avec le même
esprit qu'au début (Shoshin : l'esprit du débutant), c'est qu'il
commence à réaliser que l'étude sera sans fin. L'esprit de
découverte a laissé place à l'envie d'une progression continue
même si celle-ci est semée de doutes et de remises en question.
Nous pouvons considérer à ce stade qu'une transformation s'est
opérée chez le pratiquant et que les techniques ont forgé le corps
(utilisation spécifique des muscles et spécialisation de ceux-ci).
Encore
quelques années plus tard, l'adepte s'est familiarisé avec les
principes techniques qu'il met en pratique avec aisance. Il connait
le répertoire technique pour en avoir fait le tour plusieurs fois
avec les relectures qui s'imposent à chaque étape de la
progression. Pourtant il n'est pas lassé par sa pratique et rejoint
le Tatami avec un grand enthousiasme. Il connait les bienfaits de la
pratique sur le corps et l'esprit. L'adepte s'est vu modeler l'esprit
par les principes véhiculés par sa discipline. Il n'en est pas pour
autant formaté : il est éveillé, libre de suivre les préceptes
qui résonnent avec les fondements de son Être. Sa ligne de conduite
déteint positivement sur son comportement avec ses proches, ses
amis, ses relations de travail et sa manière de concevoir l'Autre en
toute circonstance. À ce stade, il est impensable d'envisager
l'arrêt de la pratique car elle fait partie intégrante de la vie du
pratiquant engagé (sur la Voie).
Cet
exemple nous invite à considérer que la notion de Voie implique
simultanément une étude (ici martiale) et une progression
(amélioration) qui dépasse le champ même de l'étude car elle
transforme (réalise) l'Être et lui permet de s'accomplir sur le
chemin de la vie.
Kenji
Tokitsu écrit dans son livre " Budo, le Ki et le sens du
combat " (Éditions Budo) :
"
La Voie, c’est le temps de la vie, depuis la naissance jusqu’à
la mort...
À
partir du moment où l’on parle de Voie, il y a une direction ou un
objectif. Elle comporte des pentes ascendantes et descendantes.
Chacun parcourt cette Voie, mais elle ne s’impose pas à la
conscience et il est facile de se disperser dans le temps qui
passe...
Chaque
être humain a la possibilité, en élevant sa valeur humaine, de
changer la qualité de son être, d’atteindre une valeur qui se
confond avec une forme de perfection, d’absolu. "
Ces
quelques extraits résument parfaitement ce qu'est la Voie : un
engagement volontaire pour un désir absolu de l'Absolu.
Mais
plus concrètement, essayons de qualifier ce qu'est la Voie.
S'engager
dans la voie n'est pas une action à prendre à la légère. Le
nombre d'abandons témoigne de la difficulté de conserver une ligne
de conduite qui va bien au-delà du fait de s'entrainer ou de
pratiquer un art martial.
Il
faut y ajouter la volonté de maintenir une conduite empreinte de
valeurs humaines dont les bénéfices contribueront au bien-être du
pratiquant. Le Bushi-Do, ou code d'honneur du guerrier japonais,
représente une sorte d'idéal que je rapprocherai du code
(romanesque) chevaleresque à l'instar de la légende du roi Arthur
et de la Table Ronde.
" La
véritable noblesse s'acquiert par les actes. Actes de bravoure,
actes de témérité, actes de courage remplissent les histoires
chevaleresques aux quêtes glorieuses. Si la réalité est très
largement dépassée par les contes et les légendes, elle contient
cependant un désir de justice et un espoir d'avenir, les plus
souvent alimentés par les rêves innocents d'une jeunesse
inconsciente. … Fort heureusement, il reste en quelques hommes des
rêves de grandeur d'âme.
Réaliser
ces rêves n'est pas chose facile et se mettre en quête s'apparente
alors à une nouvelle forme de croisade. " (extrait de
" Quête " dans " Souffle du Budo "
aux éditions B.o.D.)
Le
pratiquant trouvera les bases des règles de " bienséance "
dans le ReiGi ( ReiShiki ou Reigi Saho, dites aussi " règles
d'étiquettes et de courtoisie ") de sa discipline.
" Saluer
correctement c'est déjà se définir en homme de Do... "
écrit Christian Tissier dans " Initiation "
(éditions SEDIREP)
Si
le protocole est imprégné de règles destinées à sécuriser
l'hôte accueillant en diminuant les capacités d'attaque du
visiteur, les valeurs véhiculées s'accordent avec les règles de
vie commune basée sur le respect : respect entre les individus,
respect des lois en vigueur, respect de la hiérarchie (parfois
imposé).
" L'équilibre
est nécessaire à la cohésion d'un individu, d'un groupe, d'une
société. Là est le ciment qui a permis aux Bushi japonais la
résolution de ce paroxysme : les préceptes du Bushidō équilibrent
les tensions et harmonisent l'homme et son passé par une
justification socio-politico-religieuse. Les actes guerriers
s'inscrivent alors comme nécessaires au maintien de l'ordre, et se
justifient parce qu'ils sont au service de la collectivité, ajoutant
ainsi à la sensation de don de soi, comme le prescrivent les
préceptes dispensés qu'ils soient philosophiques, spirituels ou
religieux. ...
Le
Budo, héritage du Bu-Jutsu, a la force de pouvoir concilier le passé
et le présent. Il permet de renouer avec l'idéal chevaleresque.
Aucun art guerrier n'avait jusqu'à lors adopté la spiritualité à
un aussi haut degré. " (Extrait de "Bu-Jutsu et
Budō " dans " Souffle du Budo " aux
éditions B.o.D.)
Les
valeurs véhiculées par ces " codes " doivent
s'accorder aux valeurs portées ou voulues par le pratiquant. Ou
inversement, le pratiquant adopte ces règles qu'il fait siennes
comme dans le film " Ghost Dog : La Voie du samouraï "
(de Jim Jarmusch – 1999) où un tueur à gages afro-américain vit
selon les préceptes du Hagakure, code d'honneur des samouraïs du
Japon médiéval. (Hagakure ou " caché sous le feuillage "
est d’une compilation des pensées et d'enseignements d'un samurai
qui date du début du 18e
siècle)
Les
règles n'ont cependant pas pour but de de brider le pratiquant,
elles l'invitent à apprendre à bien se comporter avec les autres
tout en l'invitant à se dépasser dans et par l'effort, et parfois
même à se sacrifier pour un bien supérieur à celui de sa propre
personne.
Le
dépassement de soi (dépasser ou repousser ses limites) est un
objectif pour le pratiquant engagé sur la Voie. Cela passe par
l'apprentissage et le perfectionnement des techniques.
" La
maitrise complète et parfaite de la technique est l'un des aspects
de l'Aïkido car elle élève l'homme, l'aide à se libérer de son
égo et lui permet de percevoir l'infini de son devenir vers la
perfection. " ajoute Christian Tissier dans " Initiation "
(éditions SEDIREP)
Il
faut ensuite pouvoir repousser ses propres limites. Aussi est-il
nécessaire de les connaître. Les découvrir c'est se découvrir
soi-même avec un regard critique. L'égo peut ici masquer la vérité
pour ne pas à faire face à la réalité et il faudra parfois
(souvent) se confronter à soi-même.
Comme
le dit l'inscription du Temple de Delphes : " Connais-toi
toi-même et tu connaitras l'univers des Dieux ". Se
connaître : c'est se permettre d'accéder à une connaissance
universelle.
Dans
les religions du Japon, il n'y a pas une limite infranchissable en
l'Homme et Dieu, et tout être peut accéder à un état de Kami
(divinité), comme il en est des ancêtres disparus. Ceci est d'une
importance capitale car cela implique une promesse qui est en
l'homme, comme le trésor divin que le dieu hindou Brahma, voulaient
dissimuler dans les cœurs des hommes car ce serait le dernier
endroit où ces derniers le chercheraient.
"
L'étymologie de Shizentai, 自然体,
position naturelle du corps, nous révèle un secret qui n'en est pas
un : Shizen 自然
c'est
soi-même.
Shi
自 se
traduit par soi, privé, personnel,
Zen然
par
promesse ou engagement
Taï
体 c'est
le corps.
Ainsi
l'intention, le potentiel d'action est déjà en nous. Pour mettre en
œuvre cette promesse, il nous faut réunir l'intention et l'action
en tant qu'énergie et moyen. " (Extrait de "Mushin no
Shin " dans " Souffle du Budo " aux
éditions B.o.D.)
Il
n'est donc pas vain de ne pas attendre un paradis (ou un enfer) et
d'agir dès maintenant en pesant ses actes et ses comportements sur
la balance de sa conscience.
"
Malgré les pièges, malgré les efforts nécessaires et l'engagement
demandé, chacun de nous possède en lui la capacité à trouver la
Voie du Budō. Dès lors que l'étincelle est créée, le Budō-Ka
doit alimenter sans cesse le feu de la forge alchimique où il est à
la fois forgeron et ouvrage. " (Extrait de "Budō,
Voie de réalisation de l'être. " dans " Souffle
du Budo " aux éditions B.o.D.)
Le
Do est une tension vers une amélioration de Soi. Au travers d'une
pratique martiale, le Budo (traduit par Voie des Arts martiaux) nous
invite à pratiquer corps et âme en progressant sans cesse et sans
relâche.
"
Sur la Voie, ni devant ni derrière, toujours vers l'avant, l'effort
au présent. "
Ainsi
chemine-t-on sur la Voie.
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